Parchemin de la 62ème rue

La dame, toujours aussi bien apprêtée qu’à son habitude, inspira profondément avant de pousser la porte du Grand Café, qui était en réalité un bien petit café. Dès qu’elle s’y engouffra, elle fut submergée par une bouffée de chaleur remplie d’odeurs et de souvenirs familiers.
Le café chaud se mêlait au croissant frais dans une parfaite harmonie. Le Grand Café n’avait pas changé, ses tables, légèrement éraflées par endroit, tenaient toujours depuis toutes ces années. Derrière le comptoir trônaient les bouteilles du soir, le Café se transformait en bar à la nuit tombée. Le présentoir était comblé par de divertissantes pâtisseries colorées à l’odeur de sucre.
La femme s’avança timidement, comme impressionnée par le bond dans le temps qu’elle venait de faire. Elle se souvint de la première fois qu’elle avait pénétré les lieux. Son ami lui avait présenté le patron, un gros bonhomme barbu et jovial qui l’avait grandement intimidée, à l’époque. Aujourd’hui, à cette même place se tenait une jeune femme aux yeux perçants. Nul doute qu’elle savait tout des personnes fréquentant son établissement.
La dame à l’épais manteau touffu alla s’asseoir près de la fenêtre. Du bout des doigts, elle caressa la surface lisse du bois de la table où elle s’était posée. Il lui sembla qu’elle connaissait par coeur cet endroit. Son ongle s’arrêta dans une crevasse en partie cachée par une dentelle décorative. Délicatement, elle la souleva pour y découvrir ses propres initiales, accompagnées par d’autres… Ils avaient passé tant de temps ensemble, juste ici… C’était une sorte de rituel, à l’époque, que de graver ses initiales. C’était comme une promesse.
Une promesse qu’elle avait rompue.